On ne naît pas formateur, on le devient. Et c’est une véritable mission. À Romanel, siège social du groupe Alvazzi, se façonne depuis plusieurs années une véritable culture de la transmission. Engagé en 1986 comme apprenti monteur en chauffage, Pascal Charotton est devenu responsable de production travaux au sein du groupe et consacre environ 30% de son temps à suivre, encadrer, former et évaluer les jeunes en CFC, ici à Romanel ou sur le site d’Yverdon-les-Bains. Ce rôle, il l’assume avec rigueur, méthode, et une passion communicative pour un métier en pleine mutation.
Un engagement structuré
Chez Alvazzi, les apprentis ne sont jamais livrés à eux-mêmes. Chaque semestre, des objectifs clairs, théoriques et pratiques, sont fixés en lien avec les exigences de l’ordonnance fédérale. Ces objectifs sont ensuite travaillés lors de journées d’atelier dédiées – trois à quatre par semestre – où les jeunes viennent renforcer leurs acquis, affiner leurs gestes et préparer les cours interentreprises. «Le but, explique Pascal Charotton, c’est que les prérequis soient déjà bien intégrés avant même d’arriver aux cours. On anticipe. On solidifie.»
Cette approche repose sur un suivi très serré: rapports écrits et illustrés après chaque journée, bilans partagés avec les chefs de chantier, les managers d’activité, les chefs de projets. «Chaque apprenti est évalué comme en cours pratique. Et il le sait. C’est valorisant, mais aussi très structurant.»
Une charte comme colonne vertébrale
Depuis 2020, cette démarche s’est enrichie d’une charte de formation. Ce document de cinq pages, signé par le jeune et ses parents dès l’entrée en apprentissage, fixe les règles du jeu, les droits et les devoirs de chacun. Il incarne la philosophie de l’entreprise : engagement, écoute, accompagnement. «Si un jeune est en difficulté, il sait qu’il peut demander de l’aide. Mais il doit aussi se mobiliser. L’idée, c’est d’éviter la passivité.» Et les résultats sont là: depuis plus de dix ans, aucun échec aux examens chez les apprentis suivis par Pascal Charotton. «Bien sûr, certains réussissent plus brillamment que d’autres. Mais tous passent la ligne d’arrivée. Et souvent, ils restent dans l’entreprise.»
De l’apprentissage à l’embauche
Car c’est bien l’un des objectifs de cette politique de formation: constituer un vivier de collaborateurs engagés, opérationnels, porteurs de la culture maison. «Un jeune qui a passé quatre ans chez nous connaît les équipes, les méthodes, les attentes. Il est intégré. Il a les bons réflexes.» Près de 80% des apprentis formés rejoignent l’entreprise à l’issue de leur formation. D’autres poursuivent ailleurs, selon leurs envies ou leur spécialisation. Certains deviennent même managers dans d’autres structures du groupe. Même si parfois, les talents s’enfuient, le jeu en vaut toujours la chandelle. Pascal Charotton se souvient d’un jeune homme, «doué des mains et de la tête » qui a ensuite intégré les équipes avant d’entreprendre une formation complémentaire pour évoluer dans l’inox et rejoindre une entreprise spécialisée… «C’est une vraie fierté, sourit le formateur. Même s’il ne reste pas, il emporte avec lui une expérience solide.»
Où est passé le chauffage d’antan?
Comme pour presque tous les autres métiers du bâtiment, le chauffage n’est plus ce qu’il était. Devenu un apprentissage de quatre ans au lieu de trois selon la nouvelle ordonnance, le métier s’est complexifié avec l’intégration des enjeux énergétiques, des pompes à chaleur, de la ventilation réversible, du rafraîchissement, des matériaux modernes... «Aujourd’hui, nos apprentis doivent comprendre les systèmes dans leur globalité. On ne les forme plus uniquement à la pose. Il faut qu’ils sachent régler, diagnostiquer, optimiser.»
La formation intègre désormais des notions de mathématiques, de régulation, d’efficacité énergétique. Le cloisonnement entre installateurs et projeteurs tend à s’atténuer. «Le niveau d’exigence monte, mais c’est une bonne chose. Il en va de la qualité des installations de demain.»
Recruter, un défi quotidien
Chaque année, Pascal Charotton reçoit entre 70 et 90 demandes de stages. Une vingtaine sont retenues pour des stages découverte de trois jours à une semaine. Pour cela, il demande un dossier complet : CV, bulletins scolaires, éventuels rapports de stage. «On répond à toutes les demandes. Mais on sélectionne. Il faut être rigoureux.» Et pourtant, malgré ce flot de candidatures, le recrutement reste difficile. «Beaucoup de dossiers nous viennent d’organismes d’intégration.
Des jeunes motivés, mais qui ne maîtrisent pas suffisamment le français pour suivre une formation duale classique. Si l’entreprise a déjà formé six jeunes Érythréens ces dernières années, elle se refuse pour l’instant à entrer dans des dispositifs comme les mesures PAI (ndlr: Prolongation d’apprentissage pour l’intégration).
Sensibiliser, encore et toujours
Pascal Charotton ne se contente pas d’attendre les candidatures. Il va aussi au-devant des jeunes. Présentations en école, journées portes ouvertes, participation à la Nuit de l’apprentissage, salons et speed recruiting… «Il faut être visible. Montrer ce qu’on fait. Casser les clichés.» La première participation à une porte ouverte dans une école date de l’année passée. «Avant, c’était chasse gardée. Les écoles n’ouvraient pas leurs portes aux entreprises. Aujourd’hui, les mentalités changent. Et c’est tant mieux.»
Une entreprise formatrice, un modèle à entretenir
Le groupe Alvazzi, fondé il y a plus de 150 ans, appartient depuis 2007 au groupe Hervé, basé en France, mais conserve une forte culture romande. L’entreprise se structure en microentreprises autonomes (à Genève, Neuchâtel et en Valais) avec des managers d’activité responsables de leurs équipes, de leur production… et de leur formation.
«C’est une entreprise à pyramide inversée: ce sont les équipes qui orientent les décisions.» La formation y est prise au sérieux. S’il avait un conseil à donner à ses confrères? «Mettre du temps et de l’argent pour un formateur: ce n’est pas une charge. C’est un investissement.» Et un investissement rentable, puisque les apprentis forment la relève, fidélisent les équipes et contribuent à renforcer l’image de l’entreprise. « Une entreprise qui ne forme pas, conclut Pascal
Charotton, c’est une entreprise qui se prive de son avenir.»