«Nous représentons à nous seuls un tiers des emplois privés du canton». Philippe Miauton, directeur de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI) pose le cadre d’entrée de jeu: avec ses 3300 membres – des multinationales aux PME en passant par les start-ups –, l’organisation est un observatoire privilégié du marché de l’emploi. Et les constats qu’il dresse sur les métiers techniques et scientifiques regroupés sous l’acronyme MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et techniques) sont sans équivoque: le besoin en main-d’œuvre reste élevé, les difficultés de recrutement persistent, et le défi majeur des années à venir sera celui de la relève.
Une pénurie post Covid
Comme l’ont observé les professionnels, la pandémie de Covid a d’abord provoqué une pénurie marquée des emplois hautement qualifiés qui s’est ensuite «élargie à l’ensemble des professions, quel que soit le niveau de qualification», explique Philippe Miauton. Le phénomène est connu et multifactoriel: crises successives, transitions énergétique et numérique… Autant d’enjeux qui réclament «des personnes qualifiées» dans des secteurs qui peinent à recruter. Si la situation s’est quelque peu stabilisée récemment, certains domaines, notamment dans le MINT, restent sous tension. «Ce sont des métiers techniques, précis, où la main-d’œuvre est compliquée à trouver. On manque de personnes dans ces branches, souvent pour des raisons de formation locale insuffisante qui nous incitent à aller chercher à l’étranger.»
Formation professionnelle: un retard à rattraper
Pour la CVCI, le cœur du problème se trouve du côté de la formation. «Dans le Canton de Vaud, la formation professionnelle a été un peu mise de côté ces 20 dernières années. Aujourd’hui, on arrive à un stade où il faut vraiment pousser les jeunes dans ces branches.» Des réformes sont en cours (lire encadré), mais «les effets ne se font pas sentir d’une année à l’autre». La question est d’autant plus pressante que la transition démographique s’accélère: «Les baby-boomers vont gentiment tirer leur révérence… Des centaines de milliers de postes devront être pourvus. Et s’il n’y a pas assez de monde, il y en aura encore moins dans les domaines précités.» Pour y remédier, la CVCI plaide pour une revalorisation des professions techniques, que l’État appelle aussi de ses vœux: «Il faut rendre la voie professionnelle désirable, casser les préjugés sur l’idée qu’il faut impérativement passer par le gymnase, l’université, pour réussir. Il existe les HES, la formation duale, les passerelles. Tout cela est à reconstruire.»
Les femmes, un potentiel sous-exploité
Autre levier identifié: la participation des femmes, qui restent très minoritaires dans ces filières. «Beaucoup commencent, mais arrêtent en cours de route. Déjà au niveau de l’école, elles se détournent des branches scientifiques, alors qu’elles ont tout à fait les compétences.» Convaincre les jeunes filles de se tourner vers ces métiers est donc un enjeu central: «Il faut leur donner confiance, leur dire qu’il y a de la place pour elles là-dedans. Non, ce n’est pas un monde d’hommes.»
Le Salon MINT: susciter des vocations
Pour changer les mentalités, un outil a vu le jour en 2024: le Salon MINT, organisé à Lausanne avec le soutien du Département de l’enseignement et de la formation professionnelle (DEF). «À la fois laboratoire de recherche, atelier de découverte et véritable foire aux expériences, MINT Vaud a pour objectif de donner le goût de ces branches et filières d’avenir aux enfants. Il poursuit deux objectifs: parler de toutes les formations qui existent et pousser les filles à y voir un intérêt.» Le public cible? Les classes d’école et les familles, avec des enfants entre 8 et 12 ans. «C’est un pari sur l’avenir, reconnaît Philippe Miauton: les entreprises ne viennent pas pour signer des contrats, mais pour susciter l’intérêt et ouvrir les yeux des jeunes.»
Le succès est déjà au rendez-vous: 12’500 participants lors de la première édition et 40 exposants attendus en 2026. «Les parents viennent avec leurs enfants le week-end, les entreprises trouvent leur compte en montrant ce qu’elles font. Le spectre des débouchés est gigantesque, il y a des métiers qu’on ne soupçonne même pas!»
Économie, politique, enseignement: un défi de longue haleine
Si la CVCI n’est pas une actrice directe de la formation, elle joue un rôle d’intermédiaire essentiel: «Nous relayons les préoccupations des entreprises auprès des départements de l’économie ou de l’enseignement.» L’organisation soutient également des initiatives comme la Cité des métiers à Crissier ou l’école 42 Lausanne, à Renens, une formation intensive et gratuite pour développeurs informatiques. «Il manque d’informaticiens, et cette école colmate les brèches de formation actuelles. Des personnes de tout âge peuvent s’y reconvertir, sans diplôme préalable.» La CVCI participe aussi à des événements comme la Semaine économique, destinée à sensibiliser les jeunes au monde de l’entreprise. «Concrètement, notre rôle est de susciter l’intérêt, d’informer nos membres et de faire le trait d’union entre l’économie et le politique.» Mais Philippe Miauton le sait, les efforts pour attirer de nouvelles générations dans les métiers techniques ne produiront leurs effets qu’à long terme. Pour la CVCI, l’enjeu est crucial: «Il faut aligner toutes les planètes: formation, attractivité des professions et disponibilité de la main-d’œuvre. Le défi est immense, mais il est indispensable si nous voulons assurer l’avenir économique du canton.»