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CHANGER DE REGARD SUR L’APPRENTISSAGE

La construction: zoom sur une formation EN BÉTON

Aux premières loges de la transition énergétique, la branche de la construction offre une variété de métiers bien rémunérés et de belles perspectives de carrière. Pourtant, il continue d’enregistrer une baisse significative de ses effectifs depuis une dizaine d’années. Extrêmement active, l’École de la construction, centre de formation pour tous les métiers du bâtiment et du génie civil du Canton de Vaud, est à pied d’œuvre pour redorer le blason de ces professions d’avenir.
Karin & Uwe Annas

Pénurie de personnel qualifié, parc immobilier suisse vieillissant et inadapté à l’heure de la transition énergétique: les métiers de la construction nécessitent des professionnels bien formés.

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Le Pass’Métiers permet aux 14-17 ans de s’immerger dans les métiers de la construction pendant deux semaines en été.

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Deux des cinq apprentis qui forment la Junior Team de l’entreprise Georges Demierre et fils SA : Aurélien Morier (3e année) et Leandro Moreira Santo (2e année), qui poursuivent leur apprentissage de CFC maçon à Poliez-Pittet.

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«Revaloriser les métiers du bâtiment et faire revenir les jeunes dans la branche, c’est l’un des objectifs majeurs de notre travail», résume Lionel Arlettaz avec conviction. Après plusieurs années à la Direction générale de l’enseignement postobligatoire (DGEP), celui qui est à la tête de l’École de la construction depuis 2024, connaît la chanson. Car le constat est connu: pénurie de personnel qualifié, image parfois désuète des métiers du bâtiment, méconnaissance des débouchés et, en toile de fond, une transition énergétique qui exige une main-d’œuvre technique et motivée. «Le parc immobilier suisse est vieillissant, il y a beaucoup à faire pour le rénover et l’adapter aux enjeux climatiques. Ce ne sont pas des machines qui vont s’en charger seules. Il faut des professionnels bien formés.»

Des métiers plus faciles d’accès
Autre enjeu majeur: la parité. L’école travaille activement à ouvrir tous les métiers du bâtiment aux filles, qui se tournent plus facilement vers la peinture. Et le directeur de rappeler que la pénibilité physique, souvent perçue comme un frein, a beaucoup diminué grâce aux moyens de levage, à la mécanisation, aux outils ergonomiques. «Ce n’est plus comme il y a 30 ans!» La sécurité, elle aussi, est au cœur de l’évolution, avec un apprentissage rigoureux des gestes et une sensibilisation à divers thèmes. 

Une école, quatorze métiers, deux sites
Fondée en 1987, sous la houlette de la très active Fédération vaudoise des entrepreneurs (FVE), L’École de la construction forme aujourd’hui à quatorze métiers, du certificat fédéral de capacité au diplôme fédéral en passant par la formation continue. Deux sites, à Echallens et à Tolochenaz, accueillent chaque année près de 4000 élèves pour les cours interentreprises et des stages de découverte. «De la maçonnerie à la technique du bâtiment, en passant par la plâtrerie, la peinture, la menuiserie, la construction métallique ou encore la ferblanterie, chaque spécialité y trouve sa place», précise le directeur. L’objectif? Que chaque jeune puisse affiner son choix en découvrant concrètement les gestes, les outils et les environnements propres à chaque profession.

Pass’Métiers: conforter des vocations
Parmi les dispositifs phares de l’école, le Pass’Métiers, lancé il y a quelques années, permet à une quinzaine de jeunes de 14 à 17 ans de s’immerger pendant deux semaines, au début des vacances d’été, dans les métiers de la construction. «Ils viennent de leur propre chef. Ce sont souvent des jeunes déjà intéressés par le domaine, mais qui cherchent à préciser leur orientation.» Outre les ateliers pratiques en matinée, les après-midis sont dédiés à la découverte du monde professionnel à travers les outils numériques, les aspects de communication et le développement des soft skills: rédaction de CV, connaissance de soi, simulation d’entretien. « L’idée, c’est de coupler la technique à l’humain.»

Des rencontres variées et précoces
L’école multiplie par ailleurs les formats de rencontre avant la formation initiale: visites de classes, journées portes ouvertes pour le grand public, de plus en plus immersives et ludiques, stages en entreprise ou à l’école… Toutes les occasions sont bonnes pour ouvrir les portes du Bâtiment. Depuis cette année, une journée portes ouvertes est même spécifiquement dédiée aux écoles, avec ateliers de rédaction de CV, entretiens, réalisation de photographies professionnelles et mise en relation avec les entreprises sous forme de speed recruiting.

«Éveiller l’intérêt par le geste»
Issu d’un partenariat public-privé en 2020, et guidé par la formule «éveiller l’intérêt par le geste», le programme OCOM (Options de compétences orientées métiers) continue à faire des petits. Après Chavannes-près-Renens puis Moudon, c’est l’Établissement secondaire de Nyon-Marens qui a récemment tenté l’expérience. Durant plusieurs mois, une vingtaine de filles et de garçons construisent leur propre cabanon en bois, destiné à prendre place dans la cour de l’école. Pour cette réalisation, les élèves sont accompagnés par leurs enseignants des travaux manuels, mais également par des apprentis issus d’entreprises coopératrices de la FVE. «Les jeunes peuvent ainsi se familiariser avec différents métiers de la construction et entrer concrètement en contact avec ce que peut être le métier de bâtisseur», se félicite Lionel Arlettaz.

Génération Z: un projet pilote innovant
Depuis 2024, l’École de la construction a lancé un projet pilote novateur: le programme Génération Z, destiné aux apprentis maçons. Objectif? Faciliter la transition entre école et apprentissage, grâce à davantage de flexibilité, des outils numériques adaptés et dix semaines de vacances. «Les vacances sont réduites de manière dégressive et nous avons intégré l’intelligence artificielle dans la formation.» Une application permet ainsi aux élèves de générer des quiz personnalisés, de suivre leur progression et de se situer par rapport à leurs pairs, l’idée étant d’apprendre de manière autonome et interactive. Sur la trentaine d’apprentis de première année, treize ont déjà signé un contrat Génération Z. «C’est un début. L’année passée, le programme se lançait à peine, et beaucoup d’entreprises avaient déjà signé des contrats classiques. Cette année, la tendance s’inverse.»

Des entreprises formatrices en réseau
Et si une entreprise ne couvre pas tous les champs d’un métier? Le réseau d’entreprises formatrices permet à plusieurs entreprises, souvent spécialisées, de s’associer afin que l’apprentie ou l’apprenti puisse acquérir toutes les compétences exigées par le plan de formation national. «Un ou une jeune pourra faire sa première année ici, sa deuxième là, et finir ailleurs. L’essentiel est qu’il ou elle voie tout.» Dans cet esprit, certains employeurs développent les Junior Teams: des groupes d’apprentis accompagnés par un coach dédié, qui les aide à compléter leur formation dans un cadre structuré et stimulant (lire encadré).

Des débouchés concrets, un avenir assuré
Grâce aux brevets et diplômes fédéraux, les métiers du bâtiment offrent un parcours de progression clair, sans forcément passer par la maturité professionnelle. Et l’École de la construction travaille étroitement avec les associations professionnelles afin d’assurer la qualité des contenus pédagogiques et créer des passerelles. «Il y a même des formations pour reprendre une entreprise ! Dans un contexte de recul de 20% des effectifs de la branche en dix ans, cet écosystème innovant, dynamique et engagé représente un espoir solide pour la relève», veut croire Lionel Arlettaz.

Plus d’infos: www.ecole-construction.ch 
Prochaine journée porte ouverte publique: samedi 21 mars 2026


• Junior Teams: rencontre avec une entreprise qui se lance dans l’aventure •

Si le concept des Junior Teams n’est pas nouveau, il séduit de plus en plus d’entreprises désireuses d’investir dans une formation professionnelle de qualité. Répartis entre la première et la dernière année de formation, 5 à 8 apprentis  apprennent ensemble le même métier (ou des métiers cousins), sous la responsabilité d’un formateur qui leur est dédié à 100%. En montant avec succès deux Junior teams en peinture et en plâtrerie à la rentrée 2024, l’entreprise Clot SA de Bussigny a ouvert une brèche dans le domaine de la construction. À la rentrée 2025, c’est l’entreprise Georges Demierre et fils SA à Poliez-Pittet (75 collaborateurs) qui se lance dans l’aventure. Rencontre avec Florian Aita, responsable des apprentis, et David Eggimann, commissaire professionnel, qui s’apprêtent à partager cette mission à 50% chacun.

Pourquoi vous lancer dans l’aventure?
David Eggimann
– Dans le système standard, un formateur consacre entre 5 et 8% de son temps à chaque apprenti. C’est trop peu. Avec la Junior Team, nous voulons mettre en place une autre philosophie dans notre entreprise.
Florian Aita – Notre objectif est de donner le goût du métier de maçon, dans sa richesse et sa diversité. Aujourd’hui, les grandes entreprises sous-traitent une partie des tâches ou se concentrent uniquement sur le béton. On perd le geste, le savoir-faire. La Junior Team veut combler ce manque : prendre le temps de faire découvrir aux apprentis toutes les facettes du métier, y compris celles qui ne sont plus forcément exigées à l’examen comme la construction de murs en pierre sèche ou 
la réalisation de crépis à l’ancienne.

Qu’attendez-vous de cette nouvelle organisation?
DE – Derrière notre démarche, il y a une volonté d’agir sur les causes profondes des abandons en cours de formation. En tant que commissaire, j’ai constaté beaucoup de ruptures en première et deuxième années. Ce n’est pas forcément la faute de l’entreprise ni du jeune. Mais sans encadrement adapté, on perd des vocations.
FA – Cela va passer par un encadrement attentif, des moments de révision collective, des activités en commun, mais aussi par la création d’un esprit de corps, de solidarité. Les troisièmes années pourront aider les premières. Et, entre jeunes, on se comprend mieux parfois.

La Junior Team, dépense ou investissement?
DE – Réaménager des locaux pour la Junior Team, consacrer du temps à l’encadrement, organiser des ateliers spécifiques, c’est vrai que tout cela a un coût. Mais pour nous, il s’agit d’un investissement à long terme. Nous prévoyons d’augmenter progressivement le nombre d’apprentis – de cinq aujourd’hui à six ou plus dans un avenir proche. 
FA – Clairement, l’encadrement est pensé comme un tremplin vers l’autonomie. Et si la transition énergétique n’a pas encore trouvé toute sa place dans les cours de formation, elle est déjà un sujet de discussion sur les chantiers. Bétons recyclés, isolation, bois… Les techniques évoluent, les attentes aussi. Le maçon d’aujourd’hui doit être prêt à allier tradition et adaptabilité. Nous voulons les former à cela.