«Notre but est de rendre les jeunes de moins de 15 ans le plus autonomes possible, j’aime bien parler d’empowerment», résume Joël Viau, responsable cantonal de la scolarité obligatoire pour l’Office cantonal d’orientation scolaire et professionnelle (OCOSP). À l’école obligatoire, il ne s’agit donc pas de «pousser» les élèves vers un métier précis, mais plutôt de les aider à révéler leurs ressources, à mieux se connaître et à faire des choix éclairés. D’emblée, celui qui a commencé sa carrière comme conseiller en orientation insiste aussi sur la nécessité de dédramatiser et de décomplexer: «Le premier choix professionnel est important, mais pas définitif. Il ne faut donc pas hésiter à se lancer dans une formation initiale – apprentissage ou filière gymnasiale – quitte à rectifier le tir par la suite au moyen des nombreuses passerelles existant dans le système de formation.»
Parler «métiers» le plus tôt possible
Quoi qu’il en soit, la démarche doit commencer tôt ; tous les professionnels s’accordent à le dire. Dès la 7e, la Journée oser tous les métiers (JOM), «bien intégrée dans les mentalités», permet déjà aux enfants de suivre, le temps d’une journée, un adulte de sexe opposé dans son activité professionnelle. En 10e, le processus s’intensifie – avec notamment la possibilité de participer pour la première fois, avec l’école, au Salon des métiers et de la formation à Lausanne – et les prestations vraiment concrètes démarrent: stages de découverte fortement conseillés, visites d’entreprises, ateliers de rédaction de CV et de lettres de motivation… «Aujourd’hui, pour trouver un stage, il faut déjà être en possession d’un dossier de candidature», rappelle Joël Viau. En outre, le programme Info-Métiers, proposé entre novembre et mai sur inscription, permet aux élèves de rencontrer des professionnels qui présentent leurs activités (lors de visites d’entreprises) le mercredi après-midi.
Lutter contre les idées reçues
Au niveau cantonal, une cinquantaine de conseillers en orientation accompagnent ce cheminement. Rattachés à l’un des quatre centres d’orientation (Morges/Nyon, Lausanne, Vevey, Yverdon), ils suivent chacun deux à trois établissements. «Notre travail n’est pas juste de faire passer des tests, il repose avant tout sur l’entretien individuel qui vise à aider les élèves à faire du lien entre qui ils sont et ce qu’ils voudraient devenir, à comprendre leurs questionnements et leurs représentations, à renforcer leur confiance en eux et à développer leur capacité à faire des choix éclairés.» Le rôle des conseillers est également de lutter contre les idées reçues. «Tordre le cou aux stéréotypes est essentiel, mais les élèves sont assez ouverts, analyse avec plaisir Joël Viau. Pour eux, il n’y a pas forcément des métiers de fille ou de garçon.
Ce qui n’empêche pas qu’il faille continuer à les confronter au réel, qu’ils multiplient les stages et les expériences pour découvrir de nouveaux métiers, car les parents, eux, restent souvent prisonniers d’anciens schémas…» Parmi ceux-ci? L’apprentissage est réservé à ceux qui «n’ont pas les notes» ou encore Les métiers physiques sont dangereux pour la santé. «Malheureusement, beaucoup de professions souffrent de méconnaissance et l’apprentissage n’est pas encore perçu comme un marqueur de réussite sociale dans la tête de beaucoup de gens», déplore Joël Viau.
L’AMP: un maillon local, au plus près des besoins
Si les conseillers incarnent la colonne vertébrale cantonale, les enseignants référents AMP agissent comme des passeurs, à l’échelle des établissements. En 10e, une période hebdomadaire leur est consacrée (parfois doublée), afin d’organiser les visites de salons, accompagner les recherches de stages et soutenir leurs collègues moins familiers avec l’orientation professionnelle.
Dans les Alpes vaudoises, Valentin Zapf est coordinateur AMP et joue depuis deux ans un rôle pivot entre cinq établissements secondaires (Aigle, Ollon, Villeneuve, Bex, Château-d’Œx). Sa mission : harmoniser les pratiques, encourager les échanges d’idées et rapprocher les élèves du monde professionnel. «D’un établissement à l’autre, l’engagement pouvait fortement varier. Aujourd’hui, on partage une dynamique collective sans gommer les spécificités locales.» L’AMP fonctionne selon une logique d’entonnoir inversé: en 9e, découverte large des secteurs; en 10e, premiers stages et affinement des préférences; en 11e, constitution du dossier de candidature pour l’apprentissage. «Mais on constate qu’à ce stade, seuls 20% des élèves en voie générale savent exactement ce qu’ils veulent faire…»
Immersion et rencontres
Pour accompagner cette lente maturation, les écoles innovent. Le programme Immersio, lancé en avril dernier dans le Chablais en collaboration avec l’association Plate-Forme Jeunesse, a rencontré un franc succès. Le concept? Durant quatre jours, chaque élève de 10e a eu l’occasion de passer une journée en immersion dans une entreprise locale, accompagné d’une ou d’un apprenti, afin de favoriser la transmission des savoirs. Au total, 484 élèves ont participé à 511 journées de stage, couvrant 70 métiers différents. «L’édition 2026 visera deux journées de stage par élève», annonce déjà Valentin Zapf, ravi.
Autre collaboration phare entre les écoles obligatoires et Plate-Forme Jeunesse (qui se décline ailleurs dans le canton): le speed recruiting du Chablais. En une demi-journée, chaque élève de 11e rencontre trois à quatre employeurs proposant des places d’apprentissage. «Même sans embauche immédiate, l’exercice est formateur et prépare aux entretiens réels. Nous sommes en discussion pour que Montreux puisse rejoindre le dispositif dès 2026.» Et pour les jeunes en manque de réseau, le projet national LIFT propose de petits engagements, hors temps scolaire, entre la 9e et la 11e. «Ces ponts vers l’entreprise sont précieux pour ceux qui, sans appui familial, auraient du mal à franchir la porte d’un employeur. Mais leur réussite dépend du temps alloué aux référents AMP par les établissements et de l’engagement financier des communes, nécessaire à la bonne marche du projet», explique Valentin Zapf.
Parents, un maillon à mobiliser
Pour Joël Viau comme Valentin Zapf, la mobilisation des familles reste l’un des défis majeurs au cœur de l’orientation des jeunes. Peu de parents se déplacent pour les soirées d’information, et beaucoup restent attachés à l’idée que seule une filière académique garantit la réussite. «Le programme Immersio a tenté d’impliquer davantage les familles, en conditionnant la remise des attestations de stage à la présence d’un parent lors d’une soirée de clôture et en proposant des présentations multilingues», cite en exemple le coordinateur AMP.
Voir, toucher, expérimenter: le cœur du dispositif
Au-delà des chiffres, une conviction guide tous ces efforts: on ne choisit bien que ce qu’on a expérimenté. «Notre travail, c’est d’amener les jeunes à vouloir essayer», insiste Joël Viau. Dans les Alpes vaudoises comme dans tout le canton, les initiatives se multiplient pour rendre l’orientation plus concrète, plus vivante. Voir, toucher, dialoguer, expérimenter: c’est dans cette friction avec le réel que peut naître le désir, le choix, le projet. Et peut-être, enfin, le prestige retrouvé de la formation professionnelle.